Quand on suit le cours de la Seine, on
rencontre, à quelques lieues de Mantes-la-Jolie, un bourg de grand
air, dans un site pittoresque, Vétheuil.
Vétheuil est écrit de diverses
manières dans de vieux documents, et dans le pouillé du diocèse
de Rouen, auquel la paroisse appartenait, on lit : Vtétul, Véteuil,
Véteil. En patois local, on disait F'teu.
Rien n'est plus pittoresque que l'étroite
vallée qui descend de Vienne en Arthies. De
là, deux torrents diluviens ont longtemps arrosé la vallée.
Sillons à peine ouverts à Villers et à Saint-Cyr,
brusquement leurs lits s'accentuent, se creusent, puis se confondent en
un vaste estuaire. On croirait que leurs eaux impuissantes isolément,
ont voulu se réunir pour combiner leurs efforts et ouvrir un passage
à travers les collines que la Seine vaincue doit contourner avant
de reprendre sa marche directe vers la mer. C'est là, sur les bords
du fleuve, bien abrité contre les froides bises du nord, que Vétheuil
a pris naissance et s'est développé.
Ici, une "cavée", chemin creux
bordé de charmilles, d'églantiers, d'aubépines. Là-bas
un pâturage bordé de grands bois ; plus loin, le sentier étroit,
perdu dans la verdure, longe le ruisseau tortueux qu'il traverse fréquemment
sur des ponts rustiques. Le long des cours d'eau descendus du plateau d'Arthies,
se sont établis, çà et là, quelques moulins,
de modestes usines, où le travail est actif, quand l'hiver immobilise
les bras de l'agriculture.
La vie dans les boves
Ce coin ravissant dut de bonne heure séduire
l'homme et le fixer. Le bois, l'eau, le silex s'y trouvaient à profusion
; et la craie des collines, taillée presqu'à pic et mise
à nu par les eaux diluviennes, permettait à chacun de fouir
des loges spacieuses et sures. Quelques-unes des demeures ou boves qu'ils
creusèrent existaient encore dans le bourg vers la fin du XVIIe
siècle.
Le 13 janvier 1659, Mme la duchesse de
la Roche-Guyon autorise Jean Ozanne, de Vétheuil, à creuser
"sous une voie, près de Saint-Etienne", de quoi se loger, "pourvu
que cela soit à nous", ajoute la duchesse.
une note du 22 février 1666 porte
que Monseigneur de la Roche-Guyon "avait fieffé les boves qui étaient
derrière la maladrerie (cf. chartrier de la Roche-Guyon)".
Autrefois, les boves formaient des villages
entiers avec leurs églises fouillées dans les profondeurs
de la roche. De nos jours, si l'on rencontre encore des chambres creusées
dans les falaises crayeuses qui bordent la Seine, elles servent de hangars,
de magasins, d'écuries.
Nous serions même dans l'impossibilité
de décrire les boves s'il n'en existait encore habitée parmi
nombre d'autres délabrées et désertes, tout auprès
de Vétheuil, dans un village nommé Haute-Isle.
Boileau vint souvent à Haute-Isle
chez son neveu Dongois, greffier chef du Parlement.
En arrivant à Haute-Isle, l'attention
est appelée par deux grandes roches d'une blancheur éclatante
qui se dressent presque au sommet de la colline. On y remarque de nombreuses
excavations aux formes bizarres donnant accès à des loges
spacieuses et saines dont l'intempérie des saisons a rongé
et détruit irrégulièrement la paroi extérieure.
On reconnaît de suite qu'il y a là d'antiques habitations
dont l'emplacement avait été fort bien choisi. Si le roc
"cède et se coupe aisément", il est solide et tenace grâce
aux lits de silex régulièrement disposés dans sa masse
et qui en forment, pour ainsi dire, l'ossature ; il est imperméable
et par suite, les loges qu'on y fouille sont exemptes d'humidité,
si on a soin de les aérer suffisamment.
A l'intérieur, la température,
à peu près constante, donne l'illusion de la chaleur, l'hiver,
et de la fraîcheur, l'été, et des habitants de ces
boves assurent que durant l'hiver, certains délaissent volontiers
les chambres modernes pour coucher au dortoir de leurs pères (ces
détails sont donnés par Ernest Colas, natif de Haute-Isle,
industriel à Bonnières).
Une défense plus aisée
L'escarpement des roches facilitait aussi
la défense des hommes, à l'époque où chacun
devait pourvoir à sa sécurité personnelle. L'assiégé
avait à portée de main, provision presque inépuisable
de projectiles, dans les cailloux détachés de la montagne.
Aux temps préhistoriques, ces habitations
avaient pour entrée des galeries étroites dont l'orifice
était soigneusement dissimulé dans les anfractuosités
de la roche. L'homme s'y introduisait en rampant et, le soir, il roulait,
en guise de porte, une lourde pierre qu'il calait de son mieux. Des haches
en silex ont été retrouvées dans la cote, tant à
Vétheuil qu'à Haute-Isle.
A mesures que les techniques se perfectionnaient,
les boves se modifiaient : on y pratiqua des fenêtres, des portes.
L'accès aux boves fut facilité par la construction d'un large
sentier ouvert à mi-cote en pratiquant une entaille dans la montagne.
Cette entaille donnait, en avant de la roche, un plan horizontal servant
de chemin public et, à angle droit sur la roche, un plan vertical,
futur façade des maisons souterraines. La voie ainsi ouverte se
continuait au pourtour des roches et passait de l'une à l'autre
; c'était la charrière ou grande rue du village, accessible
par endroits aux bêtes de somme et de trait ; divers entiers étroits,
d'un usage souvent mal aisé, en partaient ou venaient y aboutir.
Toutes les portes des boves ouvraient directement sur la charrière,
sauf aux endroits, où la pente, moins raide, donnait plus d'espace
pour créer une cour devant les habitations.
Toutes les boves sont rectangulaires et
orientées parallèlement à la face extérieure
du rocher. Leurs plus grandes dimensions varient entre 5 et 12 mètres
de longueur, 4 et 6 mètres de largeur, 3 et 4 mètres de hauteur
; leur ciel généralement plat ne se présente que très
exceptionnellement en forme de dôme ; il est alors soutenu de piliers
en maçonnerie. Chaque demeure comprenait presque toujours plusieurs
loges parfois superposées en manière d'étages, ou
à des niveaux différents ; elles communiquaient entre elles
par des couloirs et des escaliers ménagés dans la craie.
Ces loges, pour la plupart obscures, aboutissaient à une pièce
plus grande que les autres et située en bordure de la charrière.
C'était la maison proprement dite où couchait la famille
; les autres pièces devaient servir de fruitiers, de granges, d'étables,
etc.
Outre la porte d'entrée, la pièce
principale possédait une fenêtre et, non loin de la porte,
un foyer creusé dans le mur en retour. Un four bâti en tuileaux
existait au-dessus du foyer, à peu près comme dans les chaumières
du moyen âge. La fumée de l'un et de l'autre était
appelée dans un conduit, simple trou circulaire traversant le rocher
et aboutissant, au sommet, dans une cheminée qui émergeait
à la surface du sol.
Pourquoi les habitants de Vétheuil
quittent les boves ?
Le besoin de confort et de luxe ne sont
pas les seules raisons qui ont décidé les habitants de Vétheuil,
puis, avec beaucoup plus de lenteur, ceux d'Haute-Isle, à quitter
les habitations souterraines de leurs ancêtres.
Les boves peuvent être délicieuses
à certaines époques de l'année, mais il était
impossible d'y avoir la propreté nécessaire, d'y faire pénétrer
suffisamment la lumière et surtout de l'air, indispensable pour
les maintenir sèches et saluvres. Des affections spéciales,
le goitre, par exemple, trouvant un milieu propice, y sévissaient
en permanence.
A Vétheuil, la disparition des
boves s'explique en outre par des causes spéciales faciles à
concevoir : ce sont, au moyen âge, le besoin d'être placé
sous la protection immédiate de l'ancien château -fort ; plus
tard, l'aisance grandit grâce à l'activité commerciale
du bourg, et enfin la construction de deux belles routes allant de Vétheuil
à la Roche-Guyon d'un coté et à Saint-Martin-la-Garenne
de l'autre.
Ces deux voies qui se rejoignent au centre
du bourg, ont peu à peu suivi, mais à une plus haute altitude,
le tracé des anciennes charrières qui passaient devant les
habitations souterraines ; elles ont nécessité des déblais
et remblais qui ont achevé la démolition des abris ouverts
dans la roche et dont quelques-uns étaient encore occupés
par d'irréductibles retardataires, peu soucieux des progrès
réalisés.
Aussi, quand actuellement des traces d'excavation
apparaissent, c'est dans le sol qu'on les rencontre, sous l'apparence de
caves abandonnées.
Un ouvrage rarissime aujourd'hui, rend
compte d'une conférence faite par la société d'archéologie
et d'histoire de Mantes-la-Jolie en 1932. Le thème principal : les
grottes et les cavernes du bourg du Vexin. Une aubaine, que ce livret (encore
en parfait état) soit tombé dans les mains d'un cliorochien.
Nous allons vous donner la lecture de quelques passages.
Le Dr Gaudichard, délégué
du "Touring club", membre de la Sauvegarde de l'art français et
de la société préhistorique de France en est l'auteur.
L'homme raconte, en 1932, qu'il a découvert
les "boves" d'Haute-Isle par hasard, en ouvrant machinalement le grand
Larousse illustré : "mes yeux tombèrent sur le mot troglodytes
qu'accompagnait un curieux dessin représentant une de ces habitations
que je reconnus pour être une demeure des environs de Tours... Poursuivant
la lecture de l'article, il y était dit qu'en Touraine, dans le
Soissonnais et même dans les environs de Paris, il existait à
Haute-Isle, en dehors de telles habitations, une église souterraine..."
Etonné par sa découverte,
le Dr Gaudichard se rend sur place, cinq heures plus tard... "Que pouvait-il
bien en être d'une église souterraine ???"
"J'aperçus à la suite
d'une série de gros rochers crayeux, un minuscule clocher, semblant
sortir de terre. Je gravis quelques escaliers et me trouvai en face d'une
église taillée dans la craie. Après une visite attentive
des lieux, je sortis et remarquai un homme d'une soixantaine d'années,
qui greffait un églantier. M'étant approché de lui,
je me hasardai à lui demander quelques renseignements que tout touriste
eut désiré connaître. Il ne se fit pas prier et offrit
ses services pour me promener, et me conduisit dans les hauts des falaises.
Ce que je ressentis à ce moment , devant un panorama aussi grandiose,
me valut une telle admiration qu'après avoir avoué à
mon guide éventuel que si j'étais venu ici en curieux, par
contre, j'aimerais bien pouvoir en partir qu'après avoir eu la possibilité
de pouvoir acquérir cette montagne et ses précieux restes
d'habitations des premiers hommes, pour les sauver de l'oubli, du vandalisme,
de la destruction. Il en fut ainsi".
Ainsi dans les années 1930, le
Dr Gaudichard devint propriétaire de la terrasse du deuxième
étage du Colombier, de la grotte d'Adam, de la salle et de l'observatoire,
du refuge, de l'église primitive souterraine. Tous ces lieux furent
classés à l'inventaire des sites protégés,
sous le toponyme "Les Troglodytes", sur la proposition de la commission
départementale des monuments naturels et des sites de Seine-et-Oise,
au cours de sa séance du 8 novembre 1933.
Une petite merveille aux portes de Paris - Haute-Isle, les grottes et les cavernes du Colombier, conférence faite à l'Hôtel de Ville de Mantes, le 2 avril 1932, à la Société Archéologique, Historique et Scientifique "Les Amis du Mantois".
Haute-Isle, une ballade
allégorique
Voir aussi : http://clioroche.blogspot.com
Vienne-en-Arthies
Vienne-en-Arthies est érigée
en commune en 1790, avec Chaudry, Chaudrai et les Millonnets comme dépendances.
Le village possède une chapelle dédiée à la
Sainte Vierge et à Saint Joseph. Cette chapelle qui avait été
aliénée sous la Révolution, a servi de grange pendant
de longues années. Restaurée par les soins de l'abbé
Amaury curé doyen d'Etampes, elle a été bénie
le 28 mai 1865.
> Une parenté préhistorique
La région Haute-Isloise a été
habitée bien avant les temps historiques, grâce à sa
situation exceptionnelle.
A ses pieds, la Seine offrait à
ses riverains les ressources de son poisson et le sommet des côteaux
était courronné de forêts giboyeuses.
Ce n’est qu’à la période
moustérienne que l’homme s’est installé sur le haut de la
colline (voir un type d'habitat
sous roche similaire).
L’outillage moustérien n’est pas
rare au sommet du coteau, à la jonction des territoires de Chérence
et Haute-Isle. Le faciès campignien s’y rencontre aussi. En revanche,
le néolithique a laissé peu de traces.
Les haches polies ne s’y rencontrent qu’à
l’état de fragments, mais on y trouve parfois quelques belles pièces
taillées pour le polissage et d’assez grande dimension.
Aux confins des territoires de Vétheuil
et de Haute-Isle existe à la jonction du versant et du biseau qui
se trouve au sommet du coteau une grande pierre plate, plantée verticalement
dans le sol. Est-ce un menhir, est-ce simplement un bloc erratique dressé
spontanément ? L’idée d’un bloc mégalithique
paraît plus vraisemblable.
Non loin de la pierre plate, – appelée
pierre drette - , se trouvent des vestiges de murs en pierres sèches,
analogues aux fortifications ligures en Provence.
Une sépulture vraisemblablement
préhistorique a été découverte autrefois à
Haute-Isle et les restes humains qu’elle contenait ont été
étudiés jadis par le Dr Basserre de la Roche-Guyon.
D’autres découvertes ont été
faites dans la région, notamment trois sarcophages médiévaux
entre les fermes du Chesnay et du Val-Perron.
En ce qui concerne les origines mêmes
du village, on est réduit aux hypothèses.
Aidé du pic campignien, plus tard
du pic en bois de cerf et sachant que les silex non insolés, c’est
à dire sortant de terre, se taillaient très aisément,
l’homme primitif a dû creuser très tôt des abris à
flanc de coteau, dont l’heureuse orientation (plein sud) le préservait
des grands froids.
Cet homme a pu y trouver double profit
: un abri bien sûr et d’excellentes matières premières
pour la fabrication de ses armes et de ses outils.
Telle serait en fin de compte, l’origine
de ces boves qui servaient à la fois de logement à nos ancêtres,
de caves, d’étables et de granges.
A noter : la roche qui domine l’église,
creusée de si bizarre façon, a dû être le premier
groupement local, et constituer le noyau dur du village troglodytique.
C’était d’ailleurs, avec la roche
voisine, le premier affleurement vertical, rocheux, au-dessous de la station
précitée et les autres boves du village n’ont dû être
creusées qu’au moment de la construction du château.
Ce qui corrobore la déduction que
les deux roches des falaises furent le noyau du village, c’est qu’à
une dizaine de mètres en contre-bas de l’une d’elles se trouve une
bove distincte ayant la disposition intérieure d’une chapelle qui
a dû être le premier temple chrétien de la localité.
(Source : Une petite merveille aux portes de Paris – Haute-Isle, Les grottes et les cavernes du Colombier, conférence de la société archéologique, historique et scientifique « Les Amis du Mantois », Gaudichard, 1932)
Pour en savoir plus sur la période du Mousterien :
Mousterien : définition générale