"On quitte Mantes et on suit la vallée de la Seine. Derrière soi, on laisse la ville charmante, si bien nommée Mantes-la-Jolie" ainsi commence le récit d'André Hallays entamant son tour du Vexin aux portes d''Ile de France. L'auteur, il est bon de le rappeler écrit en 1927. La ville a, beaucoup changé depuis (est-ce nécessaire de le préciser...) , mais il est vrai qu'elle a sans doute gardé ce cachet pittoresque que lui donne sa "fine et fière cathédrale". "A travers les déchirures du rideau que forment les peupliers des îles et des berges" du côté rive droite, la collégiale du XIIIeme siècle fait sourire la vieille ville... Elle reste alors, par jour de beau temps, toujours "blanche au dessus de son fleuve" telle que la décrit l'auteur.
"ON DIRAIT UN VILLAGE
DE PÊCHEURS"
"Plus loin, tout change d'aspect et
de couleur. Des escarpements crayeux barrent l'horizon. Ici commence la
falaise, l'abrupte falaise qui désormais dominera la Seine jusqu'à
la Manche et, sans s'interrompre, formera du Havre à Dieppe, le
bastion de la côte normande. Le site a déja je ne sais quoi
de maritime. Les jours de tempête, les nuages qui fuient du nord-ouest
et courent au-dessus de la grande vallée, semblent balayés
par le vent du large, le fleuve se couvre de petites vagues courtes, écumeuses,
l'air a une saveur marine ; et quand Vétheuil présente, à
l'entrée d'une petite valleuse, ses maisons basses, ses ruelles
dévalant vers le rivage, la haute terrasse et la tour normande de
son église, on dirait un village de pêcheurs..."
"Cette église de Vétheuil
commencée, dit-on, au XIIeme siècle, possède un beau
clocher, percé de longues lancettes, qui fut bâti par Charles
le Bel. Elle fut reprise et achevée au seizième siècle
par les Grappin, architectes de Gisors."
Les églises
du Vexin ont en fait tiré parti de l'abondance des carrières,
et au temps de la Renaissance de l'activité de deux familles
d'architectes comme le souligne André Hallays. A l'époque
des guerres de religion la région connut un calme relatif. Les frères
Lemercier, architectes de St-Eustache à Paris et de St-Maclou à
Pontoise, ont travaillé à Epiais-Rhus et Marines, les Grappin,
famille de Gisors, à Montjavoult, Nucourt, St Gervais, et Vétheuil.
L'église de Vétheuil est le chef-d'oeuvre le plus réussi
du plus célèbre architecte de la dynastie Grappin (Jean).
André Hallays présente l'édifice
comme un ensemble architectural léger et bien équilibré.
"Niches, consoles, dais, balustres, médaillons, sont d'une invention
charmante... C'est encore l'élégance et la sobriété
de la première Renaissance".
A l'intérieur de l'église
l'auteur décrit quelques jolies statues, "un beau retable flamand
représentant des scènes de la Passion". L'église
ayant été pillée depuis de la plupart de ses objets
d'arts, un seul morceau du retable retrouvé récemment
chez un antiquaire belge (1998), est visible.
UNE CHAPELLE BIEN SINGULIÈRE
L'auteur s'arrêtant à la
chapelle de la charité la décrit comme "une singulière
chapelle... close d'une grille en bois et peinturlurée... à
voir les hardes et les accessoires étranges qui pendent aux murailles,
poursuit-il, on la prendrait d'abord pour un vestiaire de théâtre.
Les peintures dont elle est badigeonnée, représentent des
choses macabres, des tibias, des larmes et des têtes de mort..."
La chapelle de la charité est une
confrérie laïque dont la fonction était d'assister
les mourants et d'ensevelir les morts. Elle date sans doute du moyen âge.
Elle fut restaurée par une bulle de Grégoire XIII, à
la fin du XVIeme siècle, au lendemain des épouvantes de la
peste de Milan. D'autres charités existaient à Rosny, à
Mantes et à la Roche-Guyon mais à cette époque elles
avaient été dissoutes, celle de Vétheuil a survécu.
Les hardes et accessoires étranges décrits par André
Hallays sont les costumes des confrères, de grandes robes de serge
noire à col bleu accrochés au fond de la chapelle.
CHANTÉE PAR
BOILEAU
"Au dessous de Vétheuil, une
falaise déchiquetée, ravinée, serre de près
le brusque détour du fleuve. Point d'arbres quelques vignes ; des
bouquets d'une végétation grêle parsemant la pente
crayeuse. La nature ne fut pas seule à tourmenter et creuser cette
étrange muraille. Des hommes taillèrent leur habitation dans
cette pierre molle, et un village souterrain s'est bâti dans la colline,
pareil à ces villages qu'ont créé dans le tuffeau
les riverains de la Loire. Les hommes ont déserté ces logis
troglodytes qui maintenant ne servent plus guère que de celliers
et d'écuries. Mais le site a conservé un pittoresque singulier.
Un petit clocher d'église jaillit du rocher, et, parfois, on voit
encore fumer, au milieu des vignes ou des broussailles, la cheminée
d'une cave. Le village s'appelle Haute-Isle".
Autrefois la maison du seigneur, entourée
de murs, était la seule qui fût construite à découvert.
Au XVIIe siècle, elle abritait "l'illustre M. Dongois, greffier
en chef du parlement (NDR : le parlement à l'époque était
la cour de justice royale)" rapporte André Hallays. Cet "illustre
M. Dongois" avait pour neveu le moins illustre M. Nicolas Despréaux.
Et ce fut ainsi que Haute-Isle (on écrivait alors Hautile) eut l'honneur
d'être chanté par Boileau :
LE POÈTE EN
VILLÉGIATURE
André Hallays, ayant croisé
sur son chemin Boileau en villégiature, nous retransmet ses souvenirs
à Haute-Isle : "Que fait Boileau lorsqu'il est aux champs ? Des
vers naturellement..." Il s'agit en partie des confidences que Boileau
adressait en vers à M. Lamoignon l'avocat général
du parlement de Paris à propos de son séjour à Haute-Isle.
"LE BON ROI HENRI AU
CHÂTEAU..."
Le château appartint aux Guy de
la Roche, et la femme de l'un d'eux, l'héroïque Perrette de
la Rivière, y soutint un siège de cinq mois contre l'Anglais.
Au Seizième siècle, il fut aux Silly, et on peut y voir la
chambre où, le lendemain de la bataille d'Ivry, le roi Henri trouva
"bon souper et bon gîte", et se passa d'ailleurs du reste...
la vertueuse marquise de Guercheville ayant ordonné qu'on attelât
son coche et s'en étant allée, à deux lieues de là,
chez une de ses amies. "Aventure admirable dont on fit un roman" note
André Hallays.
LES
HEURES ÉCLAIRÉES DE MADAME D'ENVILLE
Puis la Roche passa aux du Plessis-Liancourt
: son nom se trouva ainsi mêlé à l'histoire du jansénisme
; puis aux La Rochefoucault : l'auteur des Maximes y demeura ; -
puis, après la Révolution, aux Rohan, et, en 1829, il revint
aux La Rochefoucault. Ces noms seuls sont le cliquetis de gloire des lieux.
Parmi les portraits accrochés à
la muraille, plusieurs représentent à des âges divers
la marquise d'Enville. Ce fut cette marquise qui créa le château
tel qu'il existe encore aujourd'hui, et métamorphosa la vieille
citadelle en demeure de complaisance. Son père Alexandre de la Rochefoucault,
exilé par Louis XV à la Roche-Guyon, avait mis à profit
les loisirs que lui faisait la défaveur du roi en commençant
par de grands travaux dans son domaine ; il avait planté des bois
sur le coteau dénudé, abattu les inutiles créneaux
de la forteresse et construit un pavillon neuf. La marquise d'Enville lui
succéda en 1769 et continua son oeuvre. Elle bâtit, dessina
des jardins, commanda des peintures, des tapisseries et des sculptures.
C'était une femme de goût et d'esprit : elle correspondait
avec Walpole et Voltaire, était liée avec Turgot et Condorcet,
se déclarait être l'élève des philosophes, et
les économistes se donnaient rendez-vous dans son salon. Mais on
disait qu'elle pratiquait la philosophie plus qu'elle ne la prêchait
; elle avait créé dans son village une école gratuite
et avait remis à des religieuses le soin d'y enseigner ; elle
ouvrait aussi pour les pauvres des ateliers de charité. Elle fut
une de ces aristocrates qui travaillèrent avec une candide générosité
à la ruine de l'aristocratie : la révolution ne la surprit
ni ne l'épouvanta. Mais le 4 septembre 1792, une bande de révolutionnaires
assassina à Gisors son fils, le duc de la Rochefoucault qui avait
siégé à la Constituante parmi les constitutionnels.
Elle-même fut l'année suivante, dénoncée, arrêtée,
incarcérée et ne dut la liberté, peut-être la
vie qu'à une pétition des habitants de la Roche-Guyon. Elle
mourut à l'âge de quatre-vingt quatre ans, en 1797.
HUGO ET LAMARTINE A
LA ROCHE-GUYON
Hugo et Lamartine sont passés à
la Roche-Guyon sous la Restauration. La Roche appartenait alors au duc
Rohan-Chabot.
Montalembert, Dupanloup, Hugo, Lamartine
furent les hôtes de l'abbé-duc Rohan. Comment Hugo fit la
connaissance du duc de Rohan et se rendit à la Roche-Guyon ; comment
terrifié par l'étiquette princière qui régnait
aussi bien dans la chapelle du château que dans la salle à
manger, il s'enfuit au bout de deux jours ; enfin comment le duc de Rohan
donna Lammennais pour confesseur à Hugo, il faut lire ces histoires
dans le Tome II de Victor hugo raconté par un témoin de
sa vie.
Lamartine a écrit à la Roche-Guyon,
une de ses plus admirables Méditations :
Ici jamais le ciel n'est
orageux ni sombre ;
Un jour égal et pur
y repose les yeux.
C'est ce vivant soleil,
dont le soleil est l'ombre,
Qui le répand du
haut des cieux.
Comme un homme éveillé
longtemps avant l'aurore
Jeunes, nous avons fui dans
cet heureux séjour,
Notre rêve est fini,
le vôtre dure encore ;
Eveillez-vous ! voilà
le jour.
Coeurs tendres, approchez
! Ici l'on aime encore ;
Mais l'amour, épuré,
s'allume sur l'autel.
Tout ce qu'il a d'humain,
à ce feu s'évapore ;
Tout ce qui reste est immortel
!
La prière qui veille
en ces saintes demeures
De l'astre matinal nous
annonce le cours ;
Et, conduisant pour nous
le char pieux des heures,
Remplit et mesure nos jours.
L'airain religieux s'éveille
avec l'aurore. ;
Il mêle notre hommage
à la voix des zéphyrs,
Et les airs, ébranlés
sous le marteau sonore,
Prennent l'accent de nos
soupirs.
Dans le creux du rocher,
sous une voûte obscure,
S'élève un
simple autel : roi du ciel, est-ce toi ?
Oui, contraint par l'amour,
le Dieu de la nature
Y descend, visible à
la foi.
Que ma raison se taise, et
que mon coeur adore !
La croix à mes regards
révèle un nouveau jour ;
Aux pieds d'un Dieu mourant,
puis-je douter encore ?
Non, l'amour m'explique
l'amour !
Tous ces fronts prosternés,
ce feu qui les embrase,
Ces parfums, ces soupirs
s'exhalant du saint lieu,
Ces élans enflammés,
ces larmes de l'extase,
Tout me répond que
c'est un Dieu.
Favoris du Seigneur, souffrez
qu'à votre exemple,
Ainsi qu'un mendiant aux
portes d'un palais,
J'adore aussi de loin, sur
le seuil de son temple,
Le Dieu qui vous donne la
paix.
Ah ! laissez-moi mêler
mon hymne à vos louanges !
Que mon encens souillé
monte avec votre encens.
Jadis les fils de l'homme
aux saints concerts des anges
Ne mêlaient-ils pas
leurs accents !
Du nombre des vivants chaque
aurore m'efface,
Je suis rempli de jours,
de douleurs, de remords.
Sous le portique obscur
venez marquer ma place,
Ici, près du séjour
des morts !
Souffrez qu'un étranger
veille auprès de leur cendre,
Brûlant sur un cercueil
comme ces saints flambeaux;
La mort m'a tout ravi, la
mort doit tout me rendre;
J'attends le réveil
des tombeaux !
Ah ! puissé-je près
d'eux, au gré de mon envie,
A l'ombre de l'autel, et
non loin de ce port,
Seul, achever ainsi les
restes de ma vie
Entre l'espérance
et la mort !