- Tout ou partie du texte
est tiré de D. Vaugelade, Le salon physiocratique des La Rochefoucauld
animé par Louise Elisabeth de la Rochefoucauld, duchesse d'Enville
(1716-1797), Publibook, Paris, 2001, p. 13 à 15.
- Se reporter aussi à
l'article de Michel Rival La maison des La Rochefoucauld, paru dans
Curiositas Humana Est, pages 109-121, Val d'Oise, éditions 1998.
Les tapisseries d’Esther et l’ensemble du mobilier qui habillaient le salon de la duchesse d’Enville avaient été dispersés en 1987. Ayant un temps appartenu au grand couturier Karl Lagerfeld, les tapisseries sont mises en vente chez Christie’s en avril 2000. Le ministère de la culture exerce alors son droit de préemption et finance la moitié de l’acquisition.
Depuis la semaine dernière, les tapisseries d’Esther sont de retour au château de la Roche-Guyon. Ayant appartenu un temps à la collection de Karl Lagerfeld, les tapisseries ont été rachetées par le conseil général du Val d’Oise en avril 2000 pour 4,5 millions de francs. Depuis 1769, date de leur création à la manufacture royale des Gobelins, les tapisseries d’Esther du nom de ce personnage biblique qui inspira les artistes du Moyen-Age à la Renaissance, n’avaient jamais quitté les salons de la duchesse d’Enville hormis cet intermède de 14 ans. Le château n’étant ouvert au public que depuis 1994, les quatre tapisseries et leur mobilier n’ont jamais été dévoilés. Régulièrement entretenue, dépoussiérées et rarement exposées à la lumière, les couleurs des oeuvres, dûes à l’atelier “Cozette” de la célèbre manufacture, ont conservé un superbe éclat. La visite du château s’en trouve aujourd’hui considérablement enrichie.
L’histoire d’Esther commandée par Louise-Elisabeth duchesse d’Enville en 1767, et dont le metteur en scène est le peintre Jean-François de Troy a été réalisée en sept tableaux en 1769. L’intégralité de cette suite est visible au château pour l’exposition qui s’y tient jusqu’au 19 août 2001.
Après David, Esther est sans doute l’un des personnages de l’Ancien Testament qui a été représenté le plus souvent. L’histoire de cette jeune et belle femme qui utilise son pouvoir de séduction et sa grande intelligence pour sauver le peuple juif d’un massacre annoncé possédait toutes les qualités pour nourrir l’imaginaire classique et rentrer, au même titre que Judith, au panthéon des héroïnes bibliques.
Un récit biblique en sept tableaux
“Ceci arriva au temps d’Assuérus...
qui régnait depuis l’Inde jusqu’à l’Ethiopie”. Ainsi débute
le Livre d’Esther. Assuérus est le nom biblique du roi de Perse,
Xercès Ier,
qui régna de 485 à 465 avant J.C. La reine Vahsti répudiée,
le roi fait venir à Suse, capitale de son royaume, les plus belles
filles pour choisir une nouvelle épouse. Le jour de la présentation
au roi, Esther
sacrifie au cérémonial de la toilette pour être richement
parée et vêtue (La Toilette d’Esther, 1ère pièce).
“Et le roi l’aima plus que toutes les autres femmes..., et la couronna” (Le couronnement d’Esther, 2ème pièce). La nouvelle reine vit avec son vieil oncle Mardochée. Le roi ignore qu’ils sont juifs. Par l’entremise d’Esther, Mardochée devient de plus en plus influent auprès d’Assuérus, il déjoue notamment un complot formenté contre le roi. Cependant Aman, le grand vizir prend ombrage de la personnalité de Mardochée. Lorsque le premier est nommé ministre par Assuréus, tous les serviteurs du roi viennent se prosterner devant lui. Seul Mardochée refuse de faire allégeance à Aman.
De fureur celui-ci demande à Assuréus de faire périr le peuple juif. Assuréus remet le sort des juifs dans les mains d’Aman. Mardochée apprend la nouvelle. Il va au palais prévenir Esther et lui demande d’user de toute son influence auprès du roi pour faire abroger le décret de génocide. Elle entreprend alors d’implorer la grâce de son peuple auprès du roi (Le dédain de Mardochée, 3ème pièce).
Sans invitation, personne ne peut pénétrer dans le palais. Bravant l’interdit, mais impressionnée par son acte de courage, Esther s’évanouit devant Assuérus qui, en signe de grâce et d’amour, lui tend le sceptre d’or près du visage (L’évanouissement d’Esther, 4ème pièce). Assuérus promet d’accéder à sa requête et de sauver son peuple.
Voir les livres historiques de la Bible ou la Bible de Jérusalem en ligne
A propos du retour des tapisseries :
Article publié dans Le Courrier de Mantes, le 12 avril 2001
Lire aussi sur le site www.catholique95.com, les tapisseries retrouvées
Les tapisseries d'Esther à la Roche-Guyon (sur le site du conseil général du Val d'Oise)
Manufacture Royale des Gobelins
Vers 1440, le teinturier Jean Gobelin avait installé son atelier en écarlate sur les bords de la Bièvre. Deux tapissiers flamands appelés par Henri IV en 1601, Marc de Coomans et François de La Planche, s'installèrent dans cet atelier. Louis XIV chargea Colbert de réorganiser la manufacture, qui prit le nom de manufacture royale des tapisseries de la Couronne (1662), dirigée par Charles Le Brun; en 1667 s'y adjoignit la manufacture royale des meubles. Dans ces établissements travaillèrent les meilleurs artistes du royaume et on y créa plus de 5 000 tapisseries d'après des cartons célèbres (Le Brun, Poussin, Audran, Van Loo, Boucher, et à l'époque moderne, Lurçat et Picasso). Depuis 1826, les Gobelins abritent l'ancienne manufacture de la Savonnerie et, depuis 1940, celle de Beauvais. Les ateliers, qui ont conservé une organisation et des méthodes artisanales, travaillent désormais uniquement pour l'État.
Surtout connu de nos jours pour ses élégantes
scènes de genre comme la Lecture de Molière ou le Repas d'huîtres,
Jean-François de Troy bénéficia en son temps de prestigieuses
commandes pour Versailles et Fontainebleau, récompensées
par le collier de l'ordre de Saint-Michel et la fonction enviée
de Directeur de l'Académie de France à Rome, avant le rare
privilège pour un artiste étranger d'être élu
"prince" de l'Académie romaine de Saint-Luc.
Rassemblé pour la première
fois dans ce catalogue raisonné, l'œuvre peint et dessiné
de l'artiste frappe par sa variété. Du portrait, spécialité
de son père François de Troy, aux compositions religieuses
et même au paysage, les toiles de J.-F. de Troy s'imposent par l'habileté
de leur exécution et la richesse du coloris.
De retour d'un long séjour italien,
J.-F. de Troy commença sa brillante carrière parisienne comme
peintre mondain, connu autant pour ses bonnes manières que pour
la rapidité avec laquelle il savait répondre à toute
commande. Il travailla d'abord pour la clientèle des financiers
de la fin du règne de Louis XIV et de la Régence. Les commandes
de la Municipalité parisienne et celles de l'ordre des Lazaristes
lui permirent aussi d'explorer de manière inédite des sujets
historiques modernes.
La victoire qu'il remporta ex-æquo
avec François Lemoyne au concours organisé par les Bâtiments
de roi en 1727, souligne d'ailleurs la place que de Troy avait su conquérir
dans la peinture d'histoire. Grâce aux modèles de l'Histoire
d'Esther et de l'Histoire de Jason destinés à la manufacture
des Gobelins, il s'imposa comme un grand décorateur, sachant admirablement
mettre en scène d'immenses scènes d'expositions chatoyantes
qu'il exposa avec succès au Salon.
En marge de l'étude de l'œuvre
de J.-F. de Troy, son activité à la tête de l'Académie
de France à Rome, de 1737 à sa mort, est également
abordée, de la vie quotidienne au palais Mancini aux fêtes
comme celles de la Caravane du Sultan à La Mecque, qui participèrent
au renouveau de la Rome de Settecento.
Bibliographie : Jean-François
de Troy, 1679-1752 par Christophe Leribault, Editions Arthena
(Association pour la diffusion de l'Histoire de l'Art). Volume relié,
format 24 x 32, 496 pages, 470 illustrations dont 100 en couleurs.
Un théâtre de société à la Roche-Guyon
« Si la haute société aime les beaux livres, elle se plaît aussi à donner la comédie et à jouer de la musique. Pour ses invités, la duchesse d’Enville aménage sous le grand salon un ravissant théâtre : achevé en 1768, il est doté d’une tribune en 1784. On y descend par deux escaliers, l’un très étroit, l’autre d’une étonnante largeur, creusé dans le roc derrière la bibliothèque. Les comptes renferment plusieurs factures – pour les costumes ; les rubans, les fils et les étoffes ainsi que pour le bois et les clous servant aux nombreux décors. Le répertoire est malheureusement inconnu, à une exception près : en 1770, on joue Le Déserteur, pièce en trois actes en prose de Sedaine sur une musique de Monsigny, compositeur très en vogue… » (Le château de La Roche-Guyon, p. 28)
« Avant la construction du
pavillon d’Enville, la comédie était jouée dans la
salle de compagnie, sur une estrade aménagée à cet
effet (les décors étant démontés à chaque
représentation). Dès 1767, la duchesse d’Enville fait aménager
dans le roc, sous le grand salon, un petit théâtre caché
et intime, inauguré avec faste à l’automne 1768. La duchesse,
très friande de théâtre et d’opéra, affectionne
particulièrement sa « comédie ». Ses invités
dont Turgot peuvent y entendre Le Déserteur de Monsigny, Le Tableau
parlant de Grétry, ou la Servante Maîtresse de Pergolèse.
Ils se transforment souvent eux-mêmes, pour un soir, en comédiens.
Le théâtre, agrémenté d’une tribune, est décoré
avec raffinement, des fauteuils de velours cramoisi permettent de recevoir
une vingtaine de personnes. On y accède alors par deux escaliers,
l’un monumental et extérieur, peut-être destiné aux
acteurs et aux décors, l’autre intérieur, en bois, réservé
plus vraisemblablement aux hôtes. Six décors mobiles animent
la scène. Les comptes du château nous apprennent qu’un tambour
a été acheté pour imiter le grondement du tonnerre.
Actuellement, l’état de conservation du théâtre ne
permet pas sa visite. » (Texte d’accompagnement de la maquette du
théâtre actuellement présentée aux visiteurs
du château de La Roche-Guyon [Val d’Oise])
--« Pour moi, je suis au milieu
de vingt-cinq personnes dans la douce espérance d’un opéra-comique
que me donnent demain mes enfants pour l’ouverture d’un théâtre
que je leur ai fait faire, il sera suivi d’une comédie, samedi deux
autres et tout le mois de novembre des représentations… »
(Extrait d’une lettre de la duchesse d’Enville à Saussure du 18 octobre 1768 [citée dans Curiositas humana est. Le château de La Roche-Guyon. Un salon scientifique au siècle des Lumières, Conseil Général du Val d’Oise / Val d’Oise, 1998, p. 43])